Résilience
& Transition
À l’origine, Loos-en-Gohelle était un petit village de 500 âmes voué à l’activité agricole, avant que l’exploitation charbonnière ne le transforme en profondeur. Depuis la fin de l’exploitation minière, le territoire a conduit sa transition vers sa forme actuelle où on lui reconnait une certaine exemplarité en matière de développement durable et lui permet de se positionner comme un exemple de résilience. Ce territoire malmené, volontairement noirci, d’abord rejeté par l’opinion publique française, mais également par ses propres habitants, a su rebondir assumer ses valeurs et son histoire, rendre fière sa population et s’ouvrir à une alternative de développement.
Voici les grandes étapes de la résilience loossoise
La crise de la fermeture des mines
Comme toutes les villes du Bassin minier, Loos-en-Gohelle est durement éprouvée par la fermeture des mines à la fin des années 70 et au début des années 1980. Cela constitue non seulement pour la commune une catastrophe économique et sociale, mais également une crise identitaire. En effet, à l’époque où le charbon était la principale source d’énergie du pays et que les mineurs, « premiers ouvriers de France », contribuaient au développement de son économie en accomplissant un métier difficile et dangereux, les habitants du Bassin minier recevaient de la reconnaissance, aussi bien locale que nationale. En outre, le système de la mine était particulièrement paternaliste et encadrant, les sociétés des Houillères du Bassin du Nord-Pas-de Calais, qui assuraient l’exploitation du charbon sur le territoire, régissaient tous les aspects de la vie sociale (logement, santé, éducation, loisirs). Non suffisamment préparée ni anticipée (pourquoi croire à la catastrophe ?), la fermeture des mines entraîne donc une perte de reconnaissance, de dignité et fait disparaître brutalement les repères donnés par une organisation sociale stricte implantée de longue date dans le territoire. Elle contribue à changer le regard des Loossois sur eux mêmes et à susciter un sentiment de honte, de désoeuvrement et de désespoir au sein de la population.
La culture comme ciment social et base de la résilience loossoise
Face à la crise, la municipalité, dirigée à l’époque par Marcel Caron, axe ses efforts sur la prise en charge collective du sentiment de perte de confiance et d’estime de soi, à travers la mise en place d’une politique culturelle participative visant à reconnaître et valoriser la mémoire, la culture et les savoir-faire de Loos-en-Gohelle.
Se multiplient alors les initiatives : spectacles participatifs, land-art avec les habitants, ouvrages de recherche amateurs sur l’histoire de la ville, luttes politiques pour la sauvegarde du patrimoine minier (considéré à l’époque comme du déchet industriel)… La culture est envisagée comme un filet de sécurité sociale, comme un moyen de garder du lien entre les gens et de redonner de la confiance dans un contexte d’effondrement de repères sociaux. C’est cette politique culturelle qui pose les bases solides d’une transition en faisant entrevoir – certes pas aux yeux de tous – de nouvelles perspectives de développement.
Une démarche participative de diagnostic social et environnemental
Au cours du dernier mandat de Marcel Caron (1977–2001), la mairie intégre progressivement l’écologie comme une dimension centrale de sa stratégie. Cela se fait notamment sous l’impulsion de Jean-François Caron, alors conseiller municipal chargé de l’environnement et de l’aménagement. Ses équipes et lui ont porté en particulier deux projets fondateurs de la méthode loossoise de transition : la révision du Plan d’occupation des sols (POS) 1995-1999, et l’adoption de la « Charte du cadre de vie » en 2001.
La révision du POS constitue une opportunité d’associer les habitants dans leur diversité (commerçants, agriculteurs, parents d’élèves, habitants des cités…) à l’adoption d’un document de planification urbaine, véritable projet de ville, et donc de traiter d’enjeux transversaux liés à l’aménagement : gestion des eaux, des friches industrielles, mobilité, stratégie foncière, énergie, biodiversité, …
Issue de ces travaux, la Charte du cadre de vie, adoptée en 2001, pose les bases d’une feuille de route pour la ville et donne un cadre aux politiques de la ville en ébauchant pour la première fois une stratégie de transition systémique, transversale, avec une vision cohérente de développement durable dans les différents champs d’action de la collectivité.
Des effets d’entraînement sur l’économie et la naissance d’un écosystème d’acteurs
La vision d’un développement renouvelé sur des bases plus durables produit des effets d’entraînement sur l’économie de la ville et du territoire limitrophe. Depuis les années 2000, de nouveaux commerces s’installent dans la ville, qui gagne en attractivité, des emplois agricoles sont crées, des initiatives naissent, des centres de compétences sur le développement durable s’établissent dans les locaux réhabilités de la Base 11/19. Cette stratégie produit des résultats qui sortent dans de nombreux domaines des indicateurs habituels de développement d’un territoire. Ce constat, réalisé par des universitaires et des journalistes, laisse à penser qu’un nouveau type d’écosystème local commence à prendre forme.
Le démonstrateur ADEME et le défi du changement d’échelle
Après l’adoption de la Charte du cadre de vie, la ville se lance dans de très nombreuses initiatives et expérimentations. Des projets sont initiés tous azimuts et la municipalité bénéficie de l’accompagnement de nombreux acteurs extérieurs (universitaires, laboratoires de recherche-action, experts…) qui l’aident à qualifier ses projets, à améliorer ses méthodes et à évaluer les actions menées. Avec l’appui d’expertise extérieure, la commune se professionnalise progressivement sur ce qui fait aujourd’hui ses caractéristiques : coopération au travail, implication citoyenne, approche systémique, mise en récits… C’est ainsi qu’une stratégie de conduite du changement, un « code source », se dessine.
Cette stratégie est conceptualisée et modélisée grâce au travail de Julian Perdrigeat, recruté en 2013 comme « chargé de récit », qui propose une première version du code source de Loos-en-Gohelle. En 2014, cette approche de la transition est évaluée par l’Agence de la transition écologique (ADEME) qui souhaite mieux en connaître la portée et les limites. Suite à cette évaluation, la ville est labellisée « démonstrateur national de la conduite du changement vers la ville durable » et signe un protocole de partenariat avec l’ADEME. Dans le cadre du démonstrateur, la ville bénéficie de financements de l’ADEME pour mener des expérimentations et innovations qui sont ensuite documentées et diffusées vers tous les acteurs intéressés (Loossois, autres collectivités, services de l’État, médias, chercheurs, associations…). L’enjeu est de favoriser le changement d’échelle.
Dans le cadre du Démonstrateur, la ville initie en 2018 un travail pionnier avec 3 autres villes pilotes du développement durable en France : Malaunay (Seine- Maritime), Grande-Synthe (Nord) et le Mené (Bretagne). Accompagnés par l’ADEME, le laboratoire ATEMIS, le cabinet Quadrant Conseil et le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), les 4 villes initient une analyse comparée de leurs approches respectives de la transition, afin d’essayer d’en identifier les invariants – et mettre de côté ce qui relève au contraire du contexte propre à chacun des territoires. Ce travail permet la production de documents fondateurs comme le référentiel des villes pairs, qui recense et détaille ces invariants. Mais surtout, il permet la naissance d’une dynamique collective d’acteurs et de la Fabrique des transitions, qui lui donne corps. Le rôle de la Fabrique est d’agir au service du changement d’échelle au niveau national, animant pour cela une vaste alliance d’acteurs engagés sur les transitions et accompagnant des territoires sur la base d’une méthodologie de conduite du changement née du travail des villes pairs.
La coopération comme condition de réussite d’une politique de transition
Au fil des années, la ville de Loos-en-Gohelle se rend compte que la charge et les bouleversements de l’organisation du travail induits par son changement d’approche a généré des difficultés importantes : burn-outs, sentiment de fatigue, d’usure… Ces alertes sur la santé et le bien-être au travail ont fait apparaître la question du travail, de la gouvernance interne et du management comme un enjeu à part entière pour une collectivité qui nourrit l’ambition de mener une politique de transition systémique. Avec l’appui du laboratoire de recherche-action ATEMIS, la ville a cherché à développer une approche centrée sur la coopération pour y répondre.
La coopération à Loos-en-Gohelle est envisagée comme la capacité à mener son action en prenant en compte les contraintes et les intérêts particuliers des différentes parties prenantes d’un projet ou d’un enjeu. Elle doit permettre aux structures d’intégrer dans leur modèle économique ou administratif les externalités négatives liées à leurs actions. Cette vision de la coopération est restituée dans le référentiel de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC), qui a fortement influencé la vision du développement économique de la mairie. L’EFC propose en effet une autre vision de l’économie, en capacité d’intégrer les enjeux écologiques et sociaux et d’appréhender les conséquences sur l’organisation du travail que cela pose.
Concrètement, cela se traduit par des aménagements dans la gouvernance interne permettant d’introduire davantage de transversalité (permettant de donner aux acteurs une vision globale du fonctionnement de la collectivité) et d’installer des espaces de « réflexivité », c’est-à-dire des moments d’évaluations collectives d’un incident donné où chacun peut faire le récit des événements pour en tirer des enseignements et améliorer l’organisation collective. Ces espaces de réflexivité doivent aussi permettre d’échanger sur des enjeux de coopération (ou de mauvaise coopération) interne pour traiter collectivement les différences de visions de l’organisation du travail.
Cela suppose aussi de mettre en oeuvre un management coopératif, c’est-à-dire un encadrement créateur de sens, basé sur la responsabilisation des acteurs, qui cherche à favoriser l’engagement et la capacité à innover. C’est aussi un encadrement en capacité de remettre en question les stratégies adoptées selon les difficultés qui remontent du réel des situations, s’appuyant pour cela sur les agents et les élus au plus proche du terrain. Cela suppose un déplacement de chacun dans ses postures : l’encadrement doit renoncer à une approche trop descendante, reconnaître la légitimité des agents à questionner et qualifier l’organisation du travail et savoir créer les espaces de coopération à l’intérieur de la structure. De l’autre côté, il est attendu des agents et élus de terrain de se mettre au service de l’amélioration de celle-ci.